La controverse : enjeux scientifiques, enjeux de société

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La lettre du jeudi 4 juillet 2013

voir la lettre (pdf)  La Lettre numéro 3

Une controverse, c’est productif !

Yannick Barthe, sociologue, membre du Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités, Institut Marcel Mauss, CNRS-EHESS

YBartheEn quoi les controverses peuvent-elles être productives ? Et pourquoi ne le sont-elles pas toujours ? Pour Yannick Barthe tout dépend du regard porté sur la controverse. Empruntant sont vocabulaire au registre de la médecine, le sociologue évoque en premier lieu un symptôme de pathologie sociale dont l’étiologie serait la peur du changement technologique, la persistance de croyances populaires opposées au savoir scientifique et technique, la manipulation de l’opinion et le “malentendu cognitif” ou décalage entre la réalité d’un risque et sa perception. En bref, le modèle classique du “déficit cognitif”, toujours bien présent dans l’esprit des scientifiques, ingénieurs et experts qui en appellent aux sciences humaines et sociales pour leur expliquer comment enrayer ce mal qui freine l’innovation, comment mieux former, informer, convaincre et comment mieux protéger l’expertise.
Or les sciences humaines et sociales ont beau multiplier les études qui montrent, démontrent que ce modèle du déficit cognitif ne reflète pas la réalité de la majorité des controverses, il a la vie dure et ses arguments reviennent comme du prêt-à penser !
La deuxième vision est celle d’une controverse facteur de vitalité pour le développement scientifique et technique et pour la démocratie. L’étiologie : le passage du laboratoire au terrain, du projet à sa mise en œuvre fait apparaître des problèmes, des incertitudes des difficultés qui n’avaient pas été anticipés. Dès lors, la controverse peut être considérée comme une évaluation informelle de la technologie, un retour d’expérience, une force de problématisation. Si le projet technique s’empare des nouvelles questions qui émergent, alors il devient plus robuste. De cette vision apparait l’idée que c’est l’absence de controverse qui serait pathologique. Il faut donc favoriser les controverses en développant, en particulier, des procédures participatives.
Pourtant ce n’est pas cette image que la plupart des controverses socio-techniques donnent à voir, avec parfois des guerre de tranchées au sein desquelles toute procédure participative serait vaine.
Alors, à quelles conditions une controverse peut-elle être productive ?
Un conflit peut être divisible ou indivisible, explique Yannick Barthe. Dans le dernier cas, il n’accepte que deux options de sortie : oui ou non, aucun compromis n’est donc possible, le règlement du conflit implique irrémédiablement la défaite pure et simple de l’un des adversaires, aucune productivité à en attendre. En revanche, dans un conflit divisible, la réponse s’exprime en “plus” ou en “moins” et des compromis sont envisageables, les parties en présence peuvent négocier. En conséquence, conclut Yannick Barthe, pour que les controverses soient productives il faut les transformer dans le sens de la divisibilité.
Par exemple, alors que la controverse sur l’enfouissement des déchets nucléaires, dans les années 1970, s’enlisait dans un conflit indivisible, elle a pu avancer lorsque le gouvernement a introduit la notion de réversibilité de la solution technique choisie. Ainsi, les populations ont retrouvé un espace de négociation. Elles ont pu accepter des enfouissements provisoires pendant que la recherche se poursuivait.
«Mais pour qu’il y ait productivité, insiste Yannick Barthe, il faut que chercheurs et ingénieurs s’emparent des nouveaux problèmes qui émergent.»

Pour aller plus loin : voir le site personnel de Yannick Barthe

Voir aussi :

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Vidéo du jeudi 4 juillet

http://vimeo.com/69721170

La vidéo du mercredi 3 juillet 2013

Alberganti

 

http://vimeo.com/69665151

La lettre numéro 3

Lire le numéro 3 de la Lettre (pdf) La Lettre numéro 3

L’inévitable rebond des controverses

JMLLSi les controverses ont des motivations multiples et variées, théoriques, expérimentales, culturelles, théologiques, politiques, institutionnelles, pour Jean-Marc Lévy-Leblond on retrouve en arrière plan des résonnances beaucoup plus générales. Elles reposent sur de grandes antinomies, philosophiques et même métaphysiques, ce qui explique la résurgence de certaines controverses.
Ainsi la question de l’origine de l’univers. La théorie du big bang situe le début de l’univers à 13,8 milliards d’années. Qu’y avait-il avant ? Comment peut-on assigner une origine finie dans le temps ? Cette question a occupé les physiciens pendant longtemps et la controverse n’est pas complètement achevée. La théorie du big bang est aujourdhui très largement majoritaire, mais  il reste des physiciens pour entretenir l’idée qu’il pourrait en être autrement.
Il y a là l’écho de discussions très anciennes sur la dichotomie entre le fini et l’infini. Or on s’apperçoit que ce n’est pas la dichotomie entre le fini et l’infini qu’il faut remettre en cause, mais la signification des deux termes. Ainsi, si on se place dans le cadre de la théorie standard, l’origine n’est pas un point. Si le calcul permet de remonter le temps, la théorie dit qu’il ne sera jamais possible d’atteindre le point origine. En effet, le temps zéro est une singularité qui n’appartient pas au temps, c’est un horizon inatteignable. En termes mathématiques, dans cette théorie, le temps est une demi-droite ouverte, privée de son point origine. C’est le cas également avec la température et le zéro absolu -273,15 C.
Ainsi la controverse se résoud avec une conceptualisation infinie à l’intérieur d’une numérisation finie. « Mais, je suis prêt à faire le pari, ajoute Jean-Marc Lévy-Leblond, que lorsque la théorie quantique de la cosmologie sera au point la question se reposera en d’autres termes et que le problème sera de la déplacer à nouveau pour réinterpréter cette antinomie.
Autres exemples. La querelle sur les fondements de la théorie quantique qui renvoie à la vieille antinomie philosophique du déterminé et du contingent : le hasard de la théorie quantique est-il simplement nimbé d’ignorance (je calcule les probabilités parce que je ne sais pas regarder en détail)  ou est-il consubstantiel et inévitable ? Ou encore, le vide existe-t-il ? sur fond de dichotomie entre le continu et le discontinu, dont Hervé Le Guyader fait remarquer qu’elle est fréquemment à l’œuvre en biologie.
Pour Jean-Marc lévy-Leblond, c’est grâce à cette oscillation entre deux termes opposés que nous pouvons avancer. « Ce ne sont que les antinomies des concepts que nous savons fabriquer. Elles ne sont pas dans le monde extérieur. C’est nous qui analysons le monde à travers les outils conceptuels et langagiers dont nous disposons et nous sommes ainsi faits que nous pensons beaucoup plus aisément dans la contradiction duale. »
Ce fond métaphysique peut-il fournir un appui à l’éducation scientifique ? Il faut l’expliciter dès que possible, soutient Jean-Marc Lévy-Leblond. Il existe une “âge métaphysique” vers six ou sept ans durant lequel les enfants se posent des questions comme jusqu’où va le ciel ? Ou jusqu’à combien peut-on compter ? Il faut leur expliquer que nous sommes en train de penser, que la pensée et le réel ne sont pas identiques, qu’on essaye de comprendre le monde avec les moyens qui nous sont donnés, essentiellement le langage. Et Jean-Marc Lévy-Leblond de conclure  : « On a tort d’ignorer l’appétit des enfants pour les concepts et le travail intellectuel ».

Jean-Marc LÉVY-LEBLOND, physicien, professeur émérite, université de Nice Sophia-Antipolis, directeur de la collection Science ouverte au Seuil, fondateur et directeur de la la revue Alliage

Citation

« Internet n’est pas un miroir de la réalité, internet est une réalité parallèle » (Serge Tisseron)

La lettre numéro 2

Apprendre à traiter les arguments comme des objets théoriques

Serge TISSERON, psychiatre et psychanalyste,
directeur de recherches, université Paris-Ouest

Voir la lettre numéro 2 (PDF) La lettre numéro 2

TisseronPour Serge Tisseron il n’existe pas de digital natives qui sauraient se servir d’internet parce qu’ils seraient né avec ! Si internet est un formidable moyen de discussions et d’échanges qui met à notre disposition un très grand nombre de connaissances, c’est aussi un lieu piégé, une machine qui génère des inquiétudes à un niveau jamais atteint auparavant. De grandes formes d’angoisse sont en effet majorées par Internet : angoisse d’abandon, angoisse d’envahissement, angoisse de morcellement, angoisse de persécution.
A cause de ces inquiétudes et de l’exacerbation de ces angoisses, internet devient bien souvent un instrument de renforcement des convictions intimes de ses utilisateurs qui y recherchent principalement des gens partageant les mêmes croyances.
A cela s’ajoute l’absence de face à face, l’absence d’indices socio-régulateurs (anonymat) et des groupes très ouverts ou chacun peut parler en même temps qui occasionnent sur internet des conflits verbaux fréquents et violents : les flame wars (to flame = injurier, insulter).
Les occasions de tels conflits  concernent les identités individuelles, les appartenances politiques, religieuses ou culturelles, les tensions sociales entre groupes.
Les tribunes pour et contre les méthodes psychanalytiques en matière d’autisme fournissent des exemples de conflits flamboyants qui ne représentent en rien l’image réelle du débat scientifique sur le sujet.
Les tentatives de réguler les groupes, les modérations, l’ouverture de la discussion ne permettent guère d’améliorer la situation.  Serge Tisseron suggère donc d’aborder le problème en amont et de préparer les enfants à la culture d’internet en organisant des débats et controverses dès l’école primaire et au collège. Ces débats et ces controverses peuvent prendre deux formes très différentes : avant l’adolescence ça peut être des élèves ou groupes d’élèves qui défendent des points de vue différents. A l’adolescence, il pourrait être intéressant d’introduire ce qu’Aristote appelait dissoï-logoï c’est-à-dire le fait de s’entraîner à défendre alternativement deux points de vue contradictoires. L’objectif, apprendre à traiter les arguments comme des objets théoriques : « ce qui vaut c’est la logique qui permet d’enchaîner les arguments ».

Vidéo du mardi 2 juillet 2013

http://vimeo.com/69600805

 

mardi2

invités surprise à l’université d’été

invites-surprise

Vidéo du lundi 1 juillet 2013

video

voir la première vidéo de l’université d’été

http://vimeo.com/69525033

La lettre de l’université d’été numéro 1

Lemieux2

Mécanique de la controverse

Cyril LEMIEUX,  sociologue, directeur d’études, École des hautes études en sciences sociales,

Cyril Lemieux définit la controverse comme un conflit triadique, dans lequel le seul juge est le public des pairs, ajoutant que le nombre de controverses tend à déborder ce seul cercle et à enrôler avec elles des forces sociales et des individus situés au-delà. Aussi la notion de déconfinement, de mobilisation lui paraissent-elles centrales pour analyser la mécanique de la controverse, mécanique qui peut prendre la forme de la divulgation, de la simplification ou de la provocation, par médias interposés – qu’on songe à l’affaire Séralini –  ou, à l’inverse, de dissimulation ou de rétention de l’information.
Une telle logique devrait militer pour deux exigences de méthode dans l’analyse des controverses. Premièrement, repartir de l’espace institutionnel et professionnel où la controverse est née, plutôt que de la scène médiatique où elle a ensuite été exposée au plus grand nombre. Deuxièmement, étudier ce que le déconfinement « fait » à la controverse.
Cela dit, la controverse étant un conflit triadique, elle fait appel à une capacité des adversaires à limiter devant le public leur recours à la violence, mais aussi à la clause selon laquelle les adversaires ont un droit égal à faire valoir devant le public leurs arguments et leurs preuves. Que prouve ainsi le financement stratégique de la recherche par les grands groupes industriels «intéressés», sinon que ceux-ci ressentent l’obligation de se plier aux contraintes argumentatives et d’administration de la preuve ? Que prouve le développement de controverses « artificielles » – celles des marchands de doutes – si seuls les groupes hostiles à la vérité scientifique ressentent l’obligation de « mimer » le jeu des contraintes argumentatives et d’administration de la preuve ?
Quoi qu’il en soit, on observe que les controverses sont toujours relançantes, qu’elles ne se terminent jamais, sauf exception, par le verdict définitif et irrévocable d’un juge unanime, qu’elles sont beaucoup moins souvent tranchées qu’elles ne sont progressivement normalisées. Aussi un enjeu central des controverses est-il la préservation de l’autonomie relative des espaces de production de savoir où elles naissent. Une controverse met également à l’épreuve la capacité d’une communauté de pairs à résoudre par ses propres protocoles le différend apparu en son sein. Elle perd en intensité au fur et à mesure qu’elle est reconduite avec succès à l’intérieur d’un espace institutionnel donné (reconfinée), où un cercle des pairs peut à nouveau se revendiquer son seul juge.
En conclusion, on peut identifier deux conditions de possibilité de développement des controverses, d’une part l’émergence progressive des sphères différenciées et autonomisées de production des savoirs, d’autre part le développement des médias, manière de prendre acte du déconfinement de certaines controverses, mais aussi de les reconfiner, en particulier en intégrant certaines des attentes et des objections des «profanes» dans le raisonnement des spécialistes.

Lire l’ensemble de la lettre de l’université d’été (pdf) : mardi 2 juillet 2013 numero-un